Lúcida
À l’occasion de sa résidence au Brésil, Emma Charrin a choisi de remonter le circuit des pierres fines et précieuses de la ville de Rio de Janeiro à l’état du Minas Gerais. Fascinée par la transfiguration des matières premières et des territoires, elle est allée à la rencontre de géologues, s’est aventurée à 200 mètres sous terre et a déambulé au sommet des montagnes. Elle a collecté les minéraux et gratté la terre et les roches pour en révéler les surfaces cachées, comme on « ressort » de vieux clichés. Par ces multiples expériences du dedans/dehors, elle questionne l’échelle humaine dans un temps géologique quasi abstrait.
Archéologue sensible, elle s’est enfoncée dans les strates des pierres tout autant que dans les strates de l’image, éprouvant le paysage perforé du Minas Gerais dans une dialectique présence-absence de l’humain. Consciente que ce territoire est meurtri en profondeur, géologiquement, mais aussi humainement, par des siècles d’extraction minière, son travail s’accompagne d’une recherche d’archives, constituant à leur tour une trame fictionnelle entre passé et futur. L’ambivalence de son travail repose sur la métamorphose de ces espaces excavés, témoins d’une brutalité sur les sols mais révélateurs d’une puissance minérale invisible sur laquelle repose l’humain.
L’exposition Lúcida d’Emma Charrin vient ponctuer sa première traversée du Minas Gerais. Son travail photographique et vidéo transforme la matière minérale de ce territoire, cette « matière-paysage », en « matière-image » et réciproquement. Il joue précisément de la frontière ténue et perméable entre recherches documentaires et mise en récit de l’envers et de l’artificialité, comme l’écho d’un devenir minéral et géologique.
Projetée sur une paroi vitrée qui scinde l’espace industriel du Tropigalpão, de l’ombre vers la lumière, la vidéo Nova Era associe la vision de la remontée à la surface d’une mine d’émeraude avec un son quasi-sidéral capté par l’artiste. Imaginée comme un seuil entre deux mondes, Nova Era plonge d’emblée le visiteur sur le chemin minéral tracé par Emma Charrin. En regard de la matière photographique collectée dans le Minas Gerais, elle présente, en suspension, des images au microscope du Serviço Geológico do Brasil (CPRM).
Lúcida donne à voir une matière photographique qui entremêle traces du passé géologique et artifices. Faisant l’expérience esthétique du palimpseste, superposition et transparence font naître le trouble dans l’espace d’exposition. Théâtralisée, la Terre devient ainsi le personnage principal d’une fiction questionnant notre manière d’habiter le monde.