Ce qui est beau quand on regarde l’horizon sur la mer, ce sont toutes ces lignes qui forment le paysage et soulignent le camaïeu de bleu, de gris et de blanc.
C’est lors d’une balade à La Grande Motte l’hiver dernier, que nous avons eu l’envie de revenir faire des photos dans cette ville globale, vieille d’à peine plus de 50 ans. Cet espace où il n’y avait rien, juste du sable et des dunes. C’est une chose ambitieuse de construire une ville à partir de rien, à la fois fascinant et d’une extrême violence. On passe de l’état de sable qui s’accumule en petites collines mouvantes aux grandes constructions pyramidales de Jean Balladur. On peut évoquer alors une certaine magie de la transformation. Le sable est l’un des composants nécessaires à la fabrication du béton, mais une fois qu’il est sous la forme béton, il est impossible de retrouver le sable. C’est pour toujours. (Impossible de se retourner).
L’ambition et le projet de cette ville nous connectent au désir humain de construire de nouveaux lieux pour de nouveaux cultes et aussi à une préoccupation centrale à nos deux pratiques artistiques : la théâtralité. Comment le simulacre, la fiction peut-elle nous parler du réel ?
Dans une période de reconstruction post guerre et dans un contexte économique glorieux, La Grande Motte nous aide à penser l’architecture comme une plateforme essentielle à la réinvention de soi et du collectif. Une habitation massive temporaire des pyramides de la grande motte inspirée du site mexicain de Teotihuacan est déjà un pas vers une certaine utopie, un Eldorado, un théâtre pour les vacanciers. Ici, il s’agit de cadrer des espaces sous forme de décor. C’est l’acte photographique même qui fait surgir de l’architecture de nouveaux décors.

LE TROPIQUE DU YUCCA tente de porter un regard singulier sur le paysage bétonné de La Grande Motte. Ne pas s’enquérir de la mer, faire face aux murs blancs et observer ce qui se joue dans le dédale des couloirs des bâtiments. Travailler alors sur l’architecture qui bouche la vue, qui empêche l’horizon, pour  révéler en creux toute sa préciosité et sa richesse. Comment l’horizon peut il être pensé en négatif ? Une absence révélatrice. Idée du négatif lié au médium photos. C’est l’œil du spectateur qui développe et reconstruit ses propres horizons intimes.
Notre projet est d’interroger comment certains espaces de la ville, notamment le point Zéro, peuvent être réinvestis de façon poétique par des danseurs du master Exerce à Montpellier. A travers les principes de l’improvisation, danser vient alors réinvestir les espaces choisis pour leur qualité théâtrale, en vue de construire de nouvelles fictions. Les costumes dans ces mises en scène prennent la forme de toiles peintes en camaïeux et dégradés de gris qui reconnectent l’espace et le corps avec l’architecture. Des corps horizon qui, de dos, visages cachés, laissent davantage de place à l’architecture corporelle qu’à une individualité humaine. Ils deviennent ainsi des corps-architecture qui habitent des espaces clos, baignés du soleil zénithal.

©Emma Charrin, en collaboration avec Olivier Muller

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